Le coup de la panne solitaire
Qu’il est bon cet air apaisé qui signale le week-end
approchant dans un milieu d’été terne où le soleil joue un peu trop avec notre
impatience d’enfant de voir juillet et août inondés de soleil dans ce trou qui
manque tellement de verdure. Le mois d’août possède tellement de réjouissances
pourtant, des quasi vacances, on s’asseoit dans le métro, il y a de la place
dans les bars, on ne fait pas la queue au théâtre ou au cinéma. Pour ce dernier
la qualité des sorties y est pour beaucoup, entre Tarzan, Le Bon gros géant,
Suicide squad, Bad Moms, Hibou et autres Insaisissables 2, mon cœur balance
entre le désespoir et le dégoût. D’ailleurs en ce vendredi 29 juillet 2016,
c’est du Sautet que je réclame, c’est Vincent, François, Paul et les autres. Ce
sont ces moments entre amis loin des contingences professionnelles qui
m’appellent dès la porte du bureau fermée. Et vous imaginez bien qu’il est
important de partir tôt avant le Léviathan de la circulation en France :
le chassé-croisé entre pauvres juilletistes et nobles aoûtiens. La fracture
sociale existe bien dans les dates de vacances et rien n’a changé depuis ces
pourtant lointaines années 60. Qui veut pensera que c’est peut-être la dernière
chose qu’il nous reste du gaullisme.
Le cœur léger et forcément le pied un peu lourd, je prends
ce chemin d’un week-end bien mérité, sans autre bruit attendu que le ressac de
la Manche. C’est en Normandie que je vais rejoindre ma dulcinée qui elle est
présente sur les lieux depuis une semaine. Les acquis sociaux ne sont pas les
mêmes pour tous et j’envie ses jours supplémentaires de vacances que je n’ai
pas. Je pense à ces falaises du pays cauchois, ces embruns et le bruit
systématique, mécanique, cadencé d’une mer calme et apaisante. Heureux qui
comme Ulysse peut en plus écouter seul dans sa voiture la première journée de
la Domino’s Ligue 2. Pensez. Pensez bien. Pensez fort. Le vendredi soir qui se
passe bien est peut-être le meilleur moment du week-end : on a quitté le
travail, on a encore le cœur léger, on a l’esprit vif et l’ambition folle d’un
programme libre à écrire pour les deux jours entiers à venir. Le vendredi soir,
vous avez deux jours entiers devant vous, c’est le moment où vous avez le plus
de repos. Les heures suivantes jusqu’au lundi ne sont qu’une lente
déliquescence entre le début de semaine qui se rapproche et ce fameux programme
trop chargé qui va vous laisser un goût d’inachevé voire des regrets car il
aura fallu choisir, il aura fallu concéder, il aura fallu abandonner. Et c’est
dans cette béatitude que chemin faisant, je me réjouis de tout, à commencer par
l’absence de circulation sur l’autoroute A 13. Plus je m’approchais, plus je
m’apaisais. Et c’est avec une délivrance teinte de satisfaction du devoir
accompli que j’ai pris cette bretelle de sortie pour atteindre le petit péage
de Bourg-Achard. Cela a duré 20 mètres. Le moteur de la voiture s’est arrêté.
J’étais encore à 100km/h. Dans une côte. Dans un virage. Mais le moteur coupé.
Dans ces moments, le réflexe est toujours aussi bienvenu que le calme. J’ai
donc posément profité de mon élan pour amener la voiture au niveau de la
barrière du péage, je freine, je mets le frein à main, je souffle, vérifie
qu’aucune voiture ne me suit de trop près. Il n’y avait aucune voiture. J’essaie
de démarrer la voiture. Plusieurs fois. Sans succès. Je suis en panne.
Ne pouvant rester indéfiniment devant cette barrière de
péage, il n’y a pas beaucoup de solutions. Demander de l’aide, mais il n’y a
personne, même pas dans la cahute pour payer. Je me résous donc, je le ferai
seul. Je sors ma carte bancaire, l’introduit dans la borne et paie. La barrière
s’ouvre mais la voiture est au point mort. Je pousse donc la voiture, elle ne
veut pas bouger. J’ai oublié de débloquer le frein à main. Heureusement, une
fois débloqué, je peux la pousser sous la barrière. Mais la route est
légèrement en pente et ce n’est pas ma force qui fait qu’elle accélère un peu
plus vite que prévu et en la poussant, je ne suis pas à l’intérieur pour
freiner. Enfin je me suis pris une fois pour Belmondo dans un film de Lautner
et j’ai fait moi-même la cascade de sauter dans la voiture en marche pour
l’arrêter sur le bas-côté après le péage. Consciencieux, je sors le mode
d’emploi de la voiture pour comprendre le sens des nouvelles petites lumières
allumées sur le tableau de bord avec cette conclusion sans appel :
« appeler au plus vite un technicien ». J’appelle pour prévenir de
mon retard indéterminé, j’appelle l’assistance. Alors, j’avais pourtant passé
le péage mais j’étais toujours sur l’emprise de l’autoroute, il faut contacter
la gendarmerie qui me met en contact avec la société d’autoroute qui appelle le
dépanneur autorisé après m’avoir conseillé de rester en dehors du véhicule car
on ne sait jamais. Commence une attente au bord de la route avec moi comme
objet de curiosité pour les véhicules qui passent devant. J’imagine leurs
commentaires moqueurs d’un début de vacances pourri, de la malchance mécanique
qui se joue des premiers moments de liberté si chèrement payés par une année de
dur labeur. Heureusement 20 minutes plus tard, une dépanneuse arrive. Le
dépanneur regarde, écoute le moteur, tape à droite et à gauche pour espérer une
résurrection inespérée de la voiture. Logiquement et résigné, je monte dans la
cabine du camion où un monsieur d’un certain âge me salue, lui aussi en panne
« d’une voiture neuve d’à peine 5 000 km, encore sous garantie
donc ». Appels à l’assurance, appels à ma compagne, je suis conduit au
dépôt à quelques kilomètres où j’apprends qu’un taxi doit venir dans la soirée.
Bilan de la panne : « sans doute la pompe à essence noyée »,
sans commentaire de ma part, on aurait pu me dire n’importe quoi, j’aurais
signé. Les papiers expédiés, la marche à suivre annoncée, un taxi arrive. Je m’avance
pour mettre mes bagages dans son coffre mais il m’indique que ce n’est pas moi
son paquet mais l’autre monsieur. Je m’inquiète et décide de ne pas laisser
passer cette chance. J’appelle l’assurance qui s’arrange avec le taxi, l’autre
monsieur va dans la même direction que moi pour prendre une voiture de
courtoisie. Naïf, je demande si je n’ai pas le même droit, ce serait plus
simple. Non. Je dois finir le voyage en taxi mais deux choix s’offrent à
moi : soit je continue jusqu’à mon lieu d’arrivée, soit je rentre à Paris.
Je décide de continuer et de profiter du week-end au bord de la mer, j’ai deux
jours pour trouver une solution.
Commence le pire moment du voyage : être obligé de se
retrouver dans une même voiture avec deux inconnus pour 90 minutes de trajet.
Je me mets à l’arrière pour me soustraire à l’obligation de tenir compagnie au
chauffeur et intervenir quand bon me semble. Bien m’en a pris. On partage nos
expériences d’anciens combattants de poisseux de l’autoroute, on parle du
temps, de la circulation et du chassé-croisé du lendemain où les dépanneurs et
les taxis auront beaucoup de travail. Ce vendredi soir, c’est l’échauffement. Sur
le chemin, le monsieur doit contacter le loueur pour le prévenir de son
arrivée, il a noté le mauvais numéro. Je le sauve en cherchant sur internet le
bon numéro, il me remercie chaleureusement. On finit par déposer le monsieur
qui repart avec une voiture. On démarre mais je dois indiquer la route au taxi
qui n’est jamais venu dans ce coin de sa vie. Ce coin est à 50 km de chez lui,
mais peu importe. Saint-Etienne-du-Rouvray est évoqué car le chauffeur est
passé dans le centre-ville pendant la prise d’otages en pensant « ah ce
bordel, c’est encore une grève et une manifestation de la SNCF ». Je lui parle du Bataclan, mal m’en prend. Le
discours du chauffeur est difficile à entendre un vendredi soir détendu de
week-end à la mer. Tout y passe, y compris certaines positions un peu extrêmes,
même s’il m’avoue avoir un client de longue date avec qui il s’est disputé à ce
sujet après Charlie : « vous voyez, il a un enfant handicapé et je le
conduis régulièrement à ses soins. Il est très gentil, bien éduqué, on
s’entendait bien mais quand il m’a dit que c’était bien fait pour Charlie parce
qu’on ne rigole avec Mahomet, j’ai vu un peu rouge et je lui ai dit. En plus,
dans le coin il y a plein de salafistes, un bourreau français de Daesh vient de
chez nous, on ne comprend pas. » Bon j’avais hâte d’arriver. Enfin, il dépose,
heureusement je n’ai pas à payer. C’était mon voyage gratuit compris dans
l’assistance. Je suis arrivé finalement à minuit sans connaître les résultats
de la première journée de la Domino’s Ligue 2. J’ai pu profiter du week-end, je
suis rentré avec une voiture prêtée. Aujourd’hui, jeudi 4 août, je suis allé
chercher ma voiture dans l’Eure pour un montant de 467 euros et 10 centimes.
Samedi, c’est mon anniversaire, je me suis payé une pompe à essence.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Abonnement Publier les commentaires [Atom]
<< Accueil