vendredi, novembre 28, 2014

La tirade du nez - Il y a 22 ans, Cantona signait à United

Hier matin, notre cher The Spooner s’est senti bizarre : Et pour cause, alors que certains célébraient les 22 ans de la signature d’Eric Cantona à Manchester United,  voila que le King s’est immiscé dans sa tête. Un monologue entièrement enregistré grâce à des procédés techniques que même la NSA nous envie. 

« Tu te rends compte toi, hein, tu sais ce que ça fait 22 ans, tu sais combien on peut faire de conneries en 22 ans, combien de gens meurent et naissent en 22 ans. 22 ans, c’est le cycle de la vie, 22 ans c’est plus que tellement de vie, à l’échelle du monde, 22 ans, c’est rien, bien, mais pour ceux qui n’ont pas la chance que moi j’ai eue, ou celle que tu as toi, 22 ans, c’est énorme, c’est plus que des vies.

Ce dont je me rappelle de cette époque, c’est loin, l’Angleterre, Sheffield, Leeds et Manchester, bah oui Manchester et Ferguson, Ferguson, le père adoptif, pas celui qui t’héberge seulement la première nuit, hein, pas celui-là, c’est celui qui te prend par la main, t’accompagne à l’école, t’aide à faire tes devoirs, te fait à manger et te borde quand tu n’arrives pas à dormir. Tu vas dire que c’est normal, que c’est réfléchi, que c’est pour que le petit nouveau se sente bien, mais pas avec Ferguson. Lui, des jeunes, il en voit des dizaines par an, il voit leur famille, il se renseigne sur le caractère, et moi il me prend alors que je traine des casseroles, que la France ne veut plus de moi. Lui, ce qu’il voit, c’est un gamin de 26 ans arrivé, grande gueule, persuadé d’être le meilleur et de vouloir le montrer, alors que dans l’équipe, il y a déjà Bruce, Ince, Hughes, Schmeichel, Kansheslkis et plein d’autres. Ferguson, il a dû se marrer quand j’y pense en me voyant arriver. Aujourd’hui si un gamin de 26 ans arrive devant moi et me dit qu’il est meilleur, tu crois que je fais quoi, que je lui dis oui, vas-y je t’engage. Mais non. Mais Ferguson, il a ça dans le sang, c’est du Shankly, c’est l’héritage de Busby, c’est ces types là, des grands instinctifs, des sentimentaux, c’est la passion dans le sang, ils ont autant de vies que de matches.

Je te parlais de la chance, je suis ému, profondément, quand je regarde ce parcours, les gens que j’ai rencontrés, Ferguson, Rourke, Loach, et puis le cinéma. Toujours ma famille à côté, des fidèles, des gens à la vie à la mort, parce qu’eux l’ont parfois approchée. Tu crois que des mecs comme Rourke ou Loach, ils n’ont pas vu la mort, la misère à un moment donné. Tu crois que Ferguson, il ne souvient pas de Hillsborough ou même de l’avion de 1958. Pour arriver à ça, il faut l’avoir vécu. Et moi je suis là, au milieu, je regarde avec les yeux d’un enfant dans un corps d’adulte, dans un paradoxe constant comme l’outremangeur, tu saisis ce que je veux dire. Je suis là, j’observe, j’apprends, je respire, j’éponge et j’essaie de retenir parce que c’est l’essence de la vie.

Et tu vois, je vais te dire un autre truc pour mettre en perspective, ok ça fait 22 ans que je suis arrivé à Manchester, mais ça 17 ans que j’arrêté. Tu vois ce que ça représente cette période, j’ai passé plus de temps sans le foot qu’avec le foot, tu vois ce que je veux dire, tout est dans rien, ce tout là, celui que tu veux savoir, et Manchester, et le succès, et la médiatisation et ma carrière, tout ça c’est rien, c’est plus rien, il en reste des poussières. Peut-être que dans 15 ans, on en parlera même plus, quelques uns se souviendront. Et alors ? D’autres me diront que j’étais violent ou que je suis un acteur raté, peut-être hein, ce n’est pas la question, la question est de savoir si j’ai fait. Si j’ai construit, si j’ai avancé, si ma famille est fière de moi, si je peux me retourner la tête haute, c’est ça que ces 22 ans veulent dire. Ce n’est pas l’acte en lui-même, la signature à Manchester, et tout ce qu’il y après. Parce que quand j’arrive à Manchester, je ne suis rien, j’ai peut-être 3 ou 4 titres de champion de France, et encore, parce que souvent j’avais fait la première partie de la saison dans l’équipe championne mais je n’avais pas joué toute la saison. En 1992, qui me connaît ? Si ma carrière s’était arrêtée un mois plus tard, tu crois que tu serais là à me parler. Non.

S’il y a quelque chose à dire aujourd’hui, c’est donc le parcours, la route, un peu comme McCarthy, tu connais le livre ? Voilà j’étais avec mon caddie et il fallait que j’avance, que je sois plus fort que les autres, mais sans forcément manger mon prochain, au sens figuré hein. Et ce que je veux montrer, c’est qu’avec du travail, on peut arriver loin, très loin, très loin. Et on peut être libre, c’est la vie, la liberté. Quand j’ai arrêté, j’ai dit, je m’en vais, je veux faire autre chose, j’ai travaillé aussi, et j’ai fait, bah, ce que j’ai pu, j’ai essayé de bien le faire et ne pas décevoir ceux qui ont cru en moi, les autres Ferguson de ma vie, et au cinéma et au théâtre, tu en as à chaque projet, c’est une nouvelle relation à chaque fois, la confiance à aller chercher, même si c’est un monde où il y a beaucoup d’argent, je fonctionne encore à la confiance, comme celle d’un père envers son enfant tu vois. Le père qui accompagne mais qui laisse faire parce qu’il faut apprendre et que c’est à son enfant de tracer sa route.

Le secret, il est là, à chaque carrière, à chaque projet, c’est un recommencement, tout le temps, tout est à construire, pas reconstruire parce que ça voudrait dire que tu gardes les fondations… ou les ruines ahah, non, tu construis, tu commences avec les plans, les fondations, les murs, les fenêtres, la décoration, et seulement après tu peux te sentir à l’aise chez toi. Et à ce moment, tu dois déménager, tu dois abandonner et partir ailleurs, faire autre chose en ne gardant que l’expérience acquise et le sentiment que tu as réussi le précédent projet. Mais tu ne peux même pas le savoir toi-même, c’est l’autre, celui qui va l’occuper après, le public donc, qui va te dire si ta construction est bonne. Parfois ça passe, parfois ça passe pas, mais tout passe très vite, le temps. J’ai essayé de profiter aussi pour moi à chaque fois, parce que l’instant il faut le vivre, et le public, il n’a pas toujours raison le public, donc attention il faut garder sa vision, sa distance, son ressenti des choses de la vie.

Les 22 ans, je ne les vois plus, je ferme les yeux et j’ai des images, ponctuelles éphémères, je pourrai ouvrir un album photo, mais ce sont des objets, c’est trop concret, ton histoire, elle est écrite pour les autres, pour ceux qui ne l’ont pas vécue. La tienne, tu n’as pas besoin de la lire, tu n’as pas besoin des chiffres, tu l’as là, à l’intérieur de toi, c’est ton sang, c’est chaque cicatrice sur ton corps, et ce qui te fait frissonner, ce n’est pas l’image du but, du match ou de la tirade, ce qui te sublime, qui te fait vibrer, c’est de retrouver l’émotion de l’instant, de l’instant originel, cette émotion unique, que tu es le seul à avoir, ce trésor que personne ne pourra te prendre. Je sais que personne ne saura ce que j’ai ressenti quand j’ai relevé le col du maillot de United la première fois. C’était il y a 22 ans, ma nuque se raidit encore à ce souvenir, ça c’est grand, ça c’est ma vie, ça le temps ne le prendra pas, ça, ça restera pour Cantona. Seul. »


@TheSpoonerWay


A retrouver ici : http://horsjeu.net/a-la-une/tirade-du-nez-du-spooner/

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