Christophe, tristesse sans couleur
Et il y a les morts qui nous
touchent de manière irrationnelle. J’ai pleuré ce matin en apprenant le décès
de Christophe. Tristesse de l’annonce exacerbée par un contexte anxiogène où
nous sommes réduits à voir les gens tombés dans des statistiques froides et un
bilan provisoire qui gonfle tous les jours peu après 19h. Liée ou pas à ce
virus, je pleure Christophe, ses textes, sa personnalité, son parcours et de
notre relation, ensemble, à deux moments séparés de 25 ans.
Cela a commencé dans le garage de
mes parents. J’aimais fouiller les lieux un peu oubliés de la maison, là où on
pose des boîtes en disant qu’elles sont bien là. Et on les oublie. Et quelqu’un
d’autre les trouve. J’ai découvert Christophe dans une boîte poussiéreuse où
étaient rangées les cassettes audio des sixties de la jeunesse de mes parents. Loin
de l’effervescence du rock et de l’émergence hippie, ils ont surtout subi
l’époque yéyé à la française. J’ai découvert en écoutant secrètement ces
cassettes et les tubes qui les faisaient danser. J’y ai passé des heures, je
connais encore un grand nombre de ses chansons, inavouables, par cœur. L’enfant
qui veut partager l’histoire de ses parents n’a pas de honte. Aline avait une
belle place, parce que tout Français moyen connaissait au moins le refrain et
pouvait en faire une chanson de fêtes familiales lorsque le fameux oncle gênant
que nous avons tous, décidait de prendre la dernière bouteille vide pour
beugler le départ douloureux de cette Aline. Je dis cela mais je n’en ai pas le
souvenir dans les repas à la maison. L’image est pourtant tellement quasi réelle.
Petit, je mettais souvent cette chanson dans la même catégorie que Capri c’est
fini, nous sommes dans un registre indéniablement assez proche dans le propos. La
comparaison ne résiste pas très longtemps à une écoute légèrement attentive,
que je n’ai pas faite. Alors, j’ai fermé cette boîte et ai suivi mon propre
parcours musical, assez chaotique. J’ai laissé Christophe et les yéyés de côté,
persuadés qu’il n’y avait plus grand chose à en tirer qu’une madeleine
personnelle et ringarde.
J’ai redécouvert Christophe il y
a 5 ans, poussé par ma compagne qui voyait d’un œil étrange mon snobisme
prétentieux et mal informé. J’ai pris une bonne claque entre révélation et
regret d’être passé à côté tant d’années. J’ai écouté des centaines de fois Les
paradis perdus, Daisy, Les marionnettes, Succès fou , La dolce vita, Les mots
bleus, certains lives, des duos… des milliers de fois sans doute parce que j’ai
ce côté excessif quand j’aime. J’ai écouté les textes, j’ai écouté les
variations des arrangements et des mélodies d’une version à l’autre et j’ai
aimé. Ce n’est pas le plus grand artiste mais il y a des amours irrationnelles,
tardives, et qu’on n’a pas envie d’expliquer plus avant. Le hasard a fait qu’à
peine quelques mois plus tard, il sortait son dernier album et aller chanter Salle
Pleyel où sommes allés. J’ai passé l’un des meilleurs concerts de ma vie.
Cynique, drôle, accessible, prenant son temps, une mise en scène efficace et belle,
j’ai découvert une personnalité qui a plus de 50 ans de carrière, détachée des
contingences classiques, qui vit la nuit et profite des plaisirs qu’il s’offre.
Autrement dit, il s’en fout et il nous le partage avec bonheur. Il glisse cet
œil fatigué et exigeant dans ses chansons, il traîne Aline comme un boulet
rassurant, son public n’est pas pour cela, il est là pour tout le reste. Il en
profite aussi, il profite de toutes ses nuits et ne doit pas être contre des
rencontres aléatoires, je ne le vois pas dire non à quelques phrases dans un
bar poussiéreux. Cette légèreté est salutaire et cela flotte trompeusement dans
ses chansons, accentuée par cette voix si particulières. Faussement légères,
faussement faciles, les mélodies restent, se tordent, se réinterprêtent sans
fin par lui-même et ceux qui les reprennent. Il était fan de Bowie, aimait
beaucoup Lou Reed et Bashung et n’était pas très loin de Gainsbourg. Ce matin,
j’étais triste. Triste de perdre un lien supplémentaire avec la jeunesse de mes
parents, avec la mienne. Triste de ne pas avoir mieux suivi cette carrière et
de l’avoir écarté par bêtise. Triste d’écouter une fois de plus un bel artiste
sans plus pouvoir le voir sur scène. Triste de ne plus avoir à attendre un
nouveau titre ou un nouveau concert. Il restera ce superbe souvenir de cette
soirée à Pleyel, un de plus avec elle.
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