mardi, septembre 18, 2012

Maradona - Le dernier cri

Lors de la Coupe du monde 1994, Maradona transforme un banal Argentine-Grèce en requiem pour sa carrière. Version d'un ancien article revue pour les Cahiers du football.

C’est un jour du début de l'été 1994, alors que la Coupe du monde américaine se cherche encore un héros hollywoodien. Loin d’être une ruée vers l’or, la quête tournera à la tragédie. Première compétition qui accueille la Russie, l’Arabie Saoudite ou le Nigéria, elle mène en demi-finale la Suède et la Bulgarie, les deux qualifiés du groupe devant la France pendant les éliminatoires. Et au-delà de l’ennui d’une compétition qui conduira à l’assassinat du Colombien Escobar, il y a quelques coups d’éclat grâce aux Milla, Salenko, Yekini, Baggio, Romario ou Klinsmann.

Dernière victoire

Et il y a cette minute sous les projecteurs de l'éphédrine. Quatre longues années (dont quinze mois pour un contrôle positif à la cocaïne en 1991) après ce qui aurait dû être son Mondial en 1990, il est de nouveau là. Il joue. Diego Armando Maradona porte le brassard de capitaine, sans doute pour sa dernière Coupe du monde. Il voudrait bien redevenir le roi et il l'est redevenu pour un instant, le temps d'un regard, le temps d'un cri, le temps d'un but, pas plus. Contre la Grèce, faible faire-valoir pour cette équipe, l'Argentine remporte une victoire tranquille, 4-0. On le voulait présent, sain(t), ressuscité. Ce fut davantage. C'est une action rapide, six ou sept passes sur quelques mètres carrés, impliquant quatre joueurs différents. Une-deux, feinte, une touche de balle, petit pont, et cette balle qui lui arrive. Un contrôle intérieur gauche à l'entrée de la surface de réparation, une feinte de frappe pour un extérieur du gauche – histoire de se dégager des défenseurs devant lui. Une détonation: il a tiré, un seul coup, sans appel. Il a décidé de tuer ses démons, et le ballon part, droit, le gardien ne peut rien. À la fin de l'envoi, Il touche et c'est la lucarne. Tout le monde l’attendait, il a répondu présent.

Maradona est de retour, Il a montré qu'Il était de nouveau le messie. Il y a ce but, mais il y a aussi cette célébration du but, exercice habituellement si ridicule. Mais cette course, c'est autre chose, c'est celle d'un revenant, d'un illuminé, d'un fou, elle vient d'outre-tombe. Le visage déformé n’a rien d’humain, ce regard peut réjouir ou effrayer. Ce cri sent la renaissance, la vie et le plaisir. Il sent aussi la revanche, la rage et la passion. Contre ceux qui l'ont condamné, enterré, jugé... Il court vers la caméra la plus proche, celle du bord du terrain, les bras contre le corps et les poings serrés avec cet index droit pointé vers le sol. Maradona est seul, ceux qui viennent le féliciter n'ont pas compris, Il est seul, comme Il l'a toujours été dans ses succès et ses échecs, quand on est le premier comme quand on est l’exclu. Rien ne compte en dehors de ce que disent ce regard et ce cri. Ce but c'est sa dernière victoire, éphémère certes, mais tellement essentielle à son histoire.

Dernières images

Quelques jours plus tard, Il est contrôlé positif à l'éphédrine, exclu de son équipe. Voué aux gémonies et à la vindicte populaire, il redevient cet animal de foire médiatique, avec toujours assez d’excès dans les mots et l’attitude pour qu’il ne soit pas un simple sportif pris dans la tempête du dopage. C’est la fin prématurée de son dernier retour, c’est la fin du parcours de l’Argentine dans ce Mondial qui ne se remettra pas et perdra contre la Roumanie en huitième de finale. C’est aussi la fin de l’Argentine victorieuse dont le destin a été intimement lié pendant dix-sept ans à la carrière de son enfant terrible: deux Coupes du monde (1978, même sans Diego, 1986) et une finale (1990), deux Copas America (1991 et 1993), une Coupe des confédérations (1992) pour les trophées les plus emblématiques. Et depuis, plus rien, malgré les générations de grands joueurs et de grandes équipes qui lui ont succédé. Pour cette sélection depuis en deuil, plus rien que des désillusions à la hauteur de celle de ce 21 juin 1994. Une fête funeste au son de requiem.

La dernière image de Maradona en tant que joueur en Coupe du monde devient celle d’un homme assis en tribune avec lunettes de soleil, et même là, il est bien plus qu’un spectateur. Au-dessus des autres depuis tant d’années, il n’avait que faire des règlements pour les autres. Il a triché une fois de trop, il savait ce qu’il l’attendait en cas de contrôle. Comme tous ses supporteurs, d’ailleurs, qui ont pu croire à une autre renaissance, une de plus. En fait, y croyait-il vraiment lui-même? Peut-être sentait-il que ce but et ce cri seraient les dernières images de lui en Coupe du monde – et même ses dernières images sous le maillot albiceleste. Pour son mythe, elles valurent bien celles des larmes de Rome en 1990. 













Sur Twitter : @TheSpoonerWay

mardi, septembre 04, 2012

Le grand Barton - Commentaire composé

Commentaire composé à partir de l'entretien de Joey Barton dans l'Equipe du 1er septembre 2012.


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JOEY BARTON, le nouveau milieu de l’OM, explique son choix de quitter l’Angleterre, où son image sulfureuse ne correspond pas, selon lui, à ses qualités de joueur.

Le personnel de son hôtel à Marseille le trouve très abordable,

Son hôtel, son hôtel ?? il a déjà commencé à placer dans l’immobilier local ?

et ça tombe bien. Hier soir, dans l’attente d’un coup de fil des dirigeants marseillais, Joey Barton (30 ans demain, prêté par QPR) n’avait pas le droit de quitter les lieux,

Après la suspension, la prison, normal. Et après il aura le droit de pointer tous les jours, sinon amende. La vie de footballeur est d’un triste.

pour arriver le plus vite possible au centre Robert-Louis-Dreyfus et signer son contrat. Il était en pleine interview quand José Anigo, le directeur sportif, est finalement venu le chercher, vers 20h 30.

Le journaliste sous la menace d’une arme ne peut pas révéler qu’Anigo était accompagné de ses meilleurs amis, 6 dobermans.

« Vous voulez que je revienne après ? », a lancé l’Anglais, affable et drôle. Ça aurait fait tard. Dommage.

A L’Equipe, on se couche donc à 20h30, pour être bien en forme et ne pas rater la rediffusion des Grosses têtes, cette émission affable et drôle.

MARSEILLE –
de notre envoyée spéciale

C’est fin, mais on a envoyé une femme dans un hôtel la nuit pour interroger un joueur de foot enfermé…

« - QUE CONNAISSEZ-VOUS du Championnat de France ?

Bien joué, il ne pourra faire pire que la réponse d’Ibrahimovic à la même question.

– On n’en voit pas beaucoup en Angleterre. Maintenant, ESPN en passe un peu le dimanche, mais seulement les grandes équipes.

Et les grands matchs… donc il nous parle d’ESPN Classic et de l’épopée des Verts.

Et on les voit aussi en Coupe d’Europe.

C’est confirmé. On parle des années 70’s.

J’ai vu un peu Marseille l’an dernier, parce qu’ils ont été en quarts de finale de la Ligue des champions,

On ne le dira jamais assez, Marseille fait partie des 8 meilleures équipes d’Europe de la saison 11-12.

ils ont été éliminés par le Bayern (0-2, 0-2), je me souviens. Je regarde beaucoup le foot, donc j’ai vu un peu ça. Je regarde aussi l’Espagne, l’Italie, même si c’est moins bien qu’avant.

Aucun rapport avec la question mais on ne contredit pas un taulard.

Quand j’étais petit, l’Italie me faisait rêver, Gullit, Van Basten, Batistuta… Aujourd’hui, les stars vont en Premier League. Ou au PSG !

Quel sens de l’à-propos pour un joueur arrivant à Marseille. Affable, drôle, mais menacé de mort par les supporteurs au bout de trois jours.

– Et vous, vous allez à Marseille…

La journaliste ne s’est pas rendue compte tout de suite que cela aurait pu très mal tourné à ce moment précis.

– Depuis tout petit, je suis le foot. Mon premier souvenir, c’est la Coupe du monde 1990 avec Roger Milla. Je me souviens aussi très bien de Marseille qui gagne la C 1 en 1993 avec le but de Boli contre Milan. Völler, Boksic, Waddle…

Bon c’est presque ça. Mais Waddle était déjà parti en 93. La journaliste connaissait bien le sujet.

On a moins vu Marseille ensuite en Angleterre avec Tapie et le scandale des matches truqués.

Forcément en D2, c’est plus compliqué.

Ils ne passaient plus à la télé. Puis il y a eu Drogba, et ils ont encore fait une finale de Coupe de l’UEFA (en 2004, perdue 0-2 contre Valence CF). Ils avaient joué contre Newcastle en demi-finales.

– Newcastle, votre ancien club.

Ndlr : Un de vos anciens clubs…

– Newcastle sera toujours dans mon coeur. City, pas autant.

Oui du côté droit, celui du portefeuille.

J’y ai joué neuf ans (jusqu’en 2007), j’avais de bons rapports avec les fans, mais le club a changé. Beaucoup de gens sont partis, d’autres sont arrivés. Quand l’argent arrive dans le foot, ce n’est plus l’équipe du peuple.

Bah si. Si le peuple est riche, il n’y a aucun problème. Think, Barton.

C’est triste. Le club auquel je suis lié, c’est Newcastle (2007-2011). On est descendus, on est remontés. On est revenus de loin et les fans n’oublient pas. Quand les joueurs viennent pour l’argent, ce n’est pas la même chose. Là, on s’est battus pour le club. Moi, Andy Carroll, Gutierrez, on est tous restés et on a ramené l’équipe au sommet.

– Vous allez faire la même chose à Marseille ?

Bah ouais tiens vas-y, essaie de faire la même chose et de descendre. On va se marrer.

– Ce n’est pas la même chose. Marseille a fini 10e, Newcastle était en L 2 ! Mais oui, je viens ici pour gagner des titres, je ne viens pas en vacances, ni en touriste.

C’est une bien belle déclaration.

C’est un défi pour moi, pas seulement professionnellement, mais aussi personnellement, de découvrir une autre culture. Pour moi, c’est important.

Tu vas kiffer la bouillabaisse. A la menthe.

– Vraiment ?
– Si tu veux gagner, il faut sentir la ville. Si j’avais été un peu plus jeune, j’aurais vécu en centre-ville. J’aime voir les fans le matin, leur parler.

Alors des fans qui habitent des centres villes, ce n’est pas exactement la sociologie démographique des grandes villes françaises. Peut-être devant Pôle emploi.

Si tu as de la chance, tu joues au foot entre dix-sept et trente-cinq ans. Les joueurs s’achètent des grosses voitures et roulent à fond, ils ne profitent pas.

Pas compris le lien. Tu veux dire qu’ils se tuent en roulant à fond ? Que rouler à fond, ce n’est pas profiter du paysage d’arrière pays des campagnes si belles de notre si cher pays ?

Moi, je veux en profiter. Quand j’étais petit, j’allais à l’entraînement d’Everton et j’attendais les joueurs après. J’aimais ceux qui s’arrêtaient, pas ceux qui se prenaient pour des superstars et qui filaient en voiture.

AH OK. En fait, en profiter pour un joueur, c’est acheter un vélo et s’arrêter à chaque fois que quelqu’un veut te parler, bref, c’est passer deux jours pour faire 5 bornes. Oui mais dans ce cas là, tu ne restes pas longtemps joueur professionnel. Mais quel dilemme.


– Vous connaissez un peu les supporters marseillais ?
– Je me souviens de ce match de Ligue des champions avec le but de Valbuena (à Liverpool, 1-0, 11 décembre 2007). Ils avaient mis une belle ambiance. J’étais en ville vers une heure de l’après-midi et ils chantaient déjà. Pourtant, le coup d’envoi était à 20 h 45 !

Toi aussi tu découvriras les vertus du Ricard en milieu de journée. C’est juste grand.

Je me disais qu’ils n’auraient plus de voix en arrivant au stade. Mais ils ont chanté toute la soirée. En Angleterre, pour l’atmosphère et les fans, Newcastle s’en approche.

C’est à dire, ils ont un accent qui chante et fleure bon la lavande aussi ??

– Vous étiez en contact avec d’autres clubs ?
– Oui, j’ai parlé à Fenerbahçe et avec le Valence CF. Mais je n’ai pas trop hésité quand Marseille est arrivé, c’était un bon challenge pour moi. Je connais la situation. Ils ont fini dixièmes, tout le monde est déçu, ils ont vendu des joueurs pour équilibrer les comptes.

Que tu es venu directement déséquilibrer donc.

On est l’outsider, mais ça me va.

– Vous vouliez vraiment quitter l’Angleterre ?
– Moi, avec mes douze matches de suspension… Tout le monde disait : “Laissez-le partir, c’est un bon joueur mais il est fou.” Les gens me sous-estiment. 

Tu es encore plus fou que ce que les médias annoncent donc. Tu es dangereux.

J’ai été en prison, quand je suis sorti, les gens ne disaient pas que j’étais un mauvais joueur, mais que j’étais fou.

Le tourisme carcéral se développe, tu connais les Baumettes ? Tu demanderas à Brandao sinon.

C’est difficile pour moi. O.K., c’est vrai, j’ai fait des choses stupides.

Faute avouée…

Mais j’ai trente ans et j’ai peut être été impliqué dans cinq ou six incidents. Soit j’étais saoul, soit ç’a a duré une minute ou deux.

C’est drôle mais pour moi c’est différent, c’est quand je suis saoul que ça dure une minute ou deux.

– En France, on a beaucoup parlé de l’incident avec Ousmane Dabo (1).

C’est bien la seule fois qu’on a parlé d’Ousmane Dabo en France.

– Je connais la vérité, il connaît la vérité. Dans ma vie, j’ai vu cinquante incidents entre des joueurs à l’entraînement. Je ne sais pas combien de fois j’ai pris des tacles à l’entraînement et je n’ai rien dit. Dabo, pour moi, c’est de sa faute.

Il n’avait qu’à pas foutre sa jambe sous mes crampons à 1m30 du sol.

– Vous n’avez donc pas de regrets ?
– Non, aucun. Je suis un homme, c’est un homme. Il me frappe, je réponds. Moi, là d’où je viens, ça marche comme ça.

De prison donc.

Si je frappe quelqu’un, le minimum que j’attends, c’est qu’on me frappe en retour !

C’est toi qui te fais défoncer dans Fight club ou pas ?

Mais je n’aime pas me battre, je ne suis pas un bagarreur.

En version civilisée, on peut appeler cela du SM, bondage…

– Vos douze matches de suspension (2), c’est aussi à cause de votre réputation ?

Il en faut un tout petit peu plus quand même…

– Oui, c’était aussi politique, parce que je critique beaucoup le système.

Et oui c’est toujours la faute de la société. Il y a temps où Charles Péguy déclarait « Tout commence en mystique et tout finit en politique ». Au lendemain de la mort de Moon, c’est un message fort Joey.

Je critique l’équipe nationale : on prend toujours les mêmes jusqu’à ce qu’ils aient cinquante ans. Et on voit que ça ne marche jamais. Einstein disait : “La définition de la folie, c’est quand on fait la même chose encore et encore et qu’on attend un autre résultat.”

Comme toi quand tu t’emportes, tu frappes en fait ? C’est bien de la folie donc.

Je suis très critique aussi avec la Fédération. À chaque fois que j’ai un souci, ils m’appellent, j’y vais, je m’assois, je vois un type qui a cent ans, qui est en costume, qui n’a jamais joué au foot de sa vie, et c’est lui qui me dit : “Mr Barton, c’est mal de faire ça.” Tu n’as jamais, jamais été au stade, qu’est-ce que tu en sais ?

Pas seulement au stade Joey, c’est mal tout court. Pas besoin d’être un footballeur pour le savoir.

– C’est difficile d’attendre encore neuf matches ?
– Oui, un peu. Ç’a été dur sur le moment. Je suis parti en vacances.

Bah ouais, je n’allais pas rester à Londres quand même.

Je me suis dit : “Je pense que je peux encore jouer au plus haut niveau.” Je ne veux pas laisser les critiques gagner.

Tu joues seulement contre les critiques. Un peu d’ambition gamin !

– Votre femme est heureuse de découvrir Marseille ?

C’est là où on voit que la journaliste est une femme, impossible d’imaginer un journaliste homme qui pose cette question à Joey Barton : « alors elle est heureuse ? satisfaite ? vos heures d’entraînements ? elle est là à l’hôtel ? »

– On n’est pas mariés.

C’est là où on voit que la journaliste est une femme, un mec qui répond « attends ma grande, on n’est pas mariés, elle fait ce qu’elle veut, moi aussi. Hein ? tu m’as compris ? »

On est ensemble depuis cinq ans, je devrais peut-être accélérer, là-dessus. Je n’aime pas les mariages, on doit toujours inviter des gens qu’on n’aime pas vraiment. Moi, si je me marie, je serai honnête. Je dirai : “Écoute, je t’aime bien mais pas assez pour t’inviter !” »

Ah non pardon, ce n’était pas pour cette raison. Juste parce que le mariage, on ne peut pas inviter qui on veut, putain d’analyse de fou.



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A retrouver sur horsjeu.net : http://horsjeu.net/fil-info/au-courrier-du-coeur-joey-barton-vs-the-spooner/