Insomnie avec Lara Fabian
Mercredi 24 août 2016. Je me baladais sur l’avenue,
le coeur ouvert à l’inconnu, j’avais envie de dire bonjour à n’importe qui. Et
soudain, soudain sous cette chaleur caniculaire qui accable les Parisiens
lorsque le thermomètre permet chaque jour à l’Océan Atlantique de se rapprocher
un peu plus de la Capitale tout en permettant la disparition du Mans, il faut
reconnaître des bienfaits au réchauffement climatique, soudain surgit d’une
fenêtre une mélodie qui en ce lieu paraît irréelle (cacedédi silver mic). J’entends
cette mélodie qui a 19 ans, j’entends cette mélodie dont on se moquait au lycée
quand il était bon de chanter Viens voir le docteur ou d’aimer les Red Hot,
j’entends cette voix céleste me déclarer une flamme qui ne peut qu’être la
cause de cette température, je bouillonne tant le diable est capable de jouer
des tours inattendus en attisant nostalgie, ironie, regret et joie du moment.
Tout est réuni pour créer un instant unique en parfaite harmonie avec mon
esprit. Soudain dans cette rue, j’entends Lara Fabian me dire, me crier, me
hurler des Je t’aime indécents.
Je t’aime, sorti en 1997, est le deuxième
single du premier vrai album sorti en France par Lara Fabian, après Tout. Elle
a certes connu des frémissements de début de carrière au Canada mais on s’en
fout. Les paroles de cette chanson à laquelle il a été impossible d’échapper
pendant plusieurs mois en France lorsqu’on vivait en dehors de sa cave
reviennent très vite. Ces paroles, elles sont en moi comme des milliers
d’autres et rien n’y fera, je m’en souviendrai, je m’en souviens, et je me mets
à fredonner cette chanson. Ce faisant, je glisse dans la moiteur ambiante de la
journée, exacerbée par des paroles rappelant des ébats tout aussi tropicaux et
je me souviens de Tout. Tout. Tout. Ce titre terrible, ce début de refrain
répétitif. Je me mets à chanter du Lara Fabian dans la rue. Je fais fi des
regards et seul mon haut sentiment de pudeur républicaine m’empêche de me mettre
à crier au milieu de la rue les cris déchirants de cette jeune femme aux abois
sentimentaux.
Lara Fabian, c’est un mélange de ce que la fin
des années 90 faisait de vraiment pas mal pour le grand public : une savante
combinaison de Kate Winslet et d’Emmanuelle Devos, ce regard qui peut être
autant bovin que méprisant, autant séducteur que moqueur avec un maquillage à la
Natalie Imbruglia, des vocalises basses à la Tina Arena jusqu’aux cris à la
Céline Dion, le tout adoubé par la marraine de toutes à savoir Maurane avec un
brin de charme méditerranéen à la Laura Pasolini. Oui cela ratisse large, mais
cela fonctionne. Un côté aussi excitant qu’exaspérant car ce n’est pas un canon
de beauté telle que les magazines l’affichent dans les défilés. En revanche,
c’est une beauté proche, sensuelle, vivante, fragile, une femme enfant comme
l’imaginaire collectif est capable de rêver et dont elle joue merveilleusement.
Elle ne vient pas de nulle part non plus. Après
un parcours certes tortueux, il faut lui reconnaître le talent d’avoir su
utiliser comme un tremplin le concours de l’Eurovision, et s’il vous plaît,
sans doute l’un des plus relevés de l’histoire, l’Eurovision à Dublin 1988 avec
Céline Dion comme gagnante pour la Suisse, Lara Fabian, 4e pour le
Luxembourg et Gérard Lenorman pour la France, sympathique 10e avec
son titre Chanteur de charme interprété contre toute raison symphonique : https://www.youtube.com/watch?v=AjL6cE9BYk8
Revenons à ces deux chansons, ces deux
premières chansons qui l’ont fait connaître en France et les deux seules que je
connaisse. Deux chansons sur la rupture amoureuse dans lesquelles les
manifestations de l’amour et des sentiments les plus forts sont terriblement
présentes. Deux chansons qui mettent parfaitement en valeur ce magnifique
organe, deux chansons un peu jumelles, un peu consanguines, un peu incestueuses :
- La répétition du « nous » dans
Tout et « D’accord » dans Je t’aime dans le début des vers, Lara s’en
sert comme accroche, comme filet, comme une petite décharge pour dire à son
interlocuteur, son auditeur, qu’elle développe une idée cohérente, qu’elle n’a
pas fini, qu’elle n’a pas épuisé le sujet, qu’elle veut avoir le dernier mot,
qu’elle a compris, qu’elle a réfléchi, qu’elle a pris de la distance, qu’elle
peut t’en faire voir maintenant ;
- La multiplicité des Lara dans les miroirs
pour Tout et les clones de Lara qui sortent de la voiture dans Je t’aime pour
nous montrer les multiplicités d’une même identité, la sienne, femme qui n’est
pas celle qu’on croit, plus complexe, elle n’est pas uniquement la copine ou la
femme de. Elle est toutes ces femmes qu’elle voudrait montrer en une seule et
unique personne mais qu’elle a préféré effacer au risque de disparaître un peu
elle-même d’où cette revanche dans la rupture ;
- La notion d’un couple fusionnel, d’une
cellule en dehors de laquelle le monde n’existe plus. Elle-même sans être
elle-même, elle est fondue, dissolue dans un couple qui la satisfait le temps
des premiers mois mais qui représente un danger pour son moi profond. Le couple
fusionnel n’est pas un gage de réussite à long terme car à vouloir créer une
identité de deux identités dans un couple, on supprime les êtres qui ont fait
qu’ils se sont aimés ;
- Une couleur d’ambiance, le doré dans Tout et
le vert dans Je t’aime. Une chanson, c’est une ambiance, c’est une unité. Comme
la règle des trois unités du théâtre classique, celle du ton, de la couleur
pourrait en constituer une pour ces deux titres. Lara Fabian est dans un rôle,
dans une pièce, dans une vie pour chacun de ses titres.
Et Lara Fabian, c’est aussi son physique,
celui avec lequel elle a du mal depuis son recalage de l’école de danse. Mais
elle a ses choses qui vous touchent, qui vous interpellent : regard
troublant direct ou par dessous, des sourcils qui se lèvent pour interroger, des
paupières qui s’abaissent dans une pose lascive et s’écartent au moindre bond
de la voix, des lèvres légèrement humides et tremblantes et cette gorge
profonde dont les cris ne suffisent pas à la voir entièrement, cette bouche qui
part sur un côté pour signifier l’ironie de l’histoire, le symbole de la
distance prise et de celle qui est revenue plus forte de ses déchirures.
Parfois sur certaines chansons, le playback
lui fait exagérer certains rictus qui desservent sa beauté grecque, épaules
droites, long cou et menton finement dessiné, pour en faire une vulgaire
chanteuse de cabaret qui croit devoir inscrire les paroles de ses chansons sur
les traits de son visage. Mais parfois, on touche au sublime de la chanson
française lorsque deux grandes voix, deux habités par le chant, le son, l’acte
véritable du don de son talent à un public pantois pendant 4 minutes. Ce titre
que Lara interprète magnifiquement est le Requiem pour un fou lors de la tournée
des Enfoirés 1998, admirez : https://www.youtube.com/watch?v=4v3LE9l1pwc
.
Mais l’espoir reste dans ces deux titres
« Je garde l’espoir fou qu’un jour on redira nous » et « Je
t’aime comme un loup, comme un roi comme un homme que je ne suis pas, tu vois
je t’aime comme ça » en sont les dernières phrases. Celles qui expliquent,
celles qui accusent, celles qui expient, comme celles qui pardonnent autant que
celles qui posent la question définitive : « Et toi ? »
Magnifiques épilogues d’une histoire qui n’a de secret pour personne. Jusqu’à
cette interprétation de Je suis malade : https://www.youtube.com/watch?v=bIIL5p7_WKk&index=8&list=RDwFOaknIw2y4
Pantomime. Merci Lara pour ces quelques
secondes cet après-midi.
@TheSpoonerWay
PS: Vous ne savez pas ce que j'ai du écouter pour essayer d'être crédible.