jeudi, décembre 01, 2016

L'enfant seul du Chapecoense


Les drames ont de rassurant qu’ils sont là tous les jours. Des témoignages abreuvent notre curiosité souvent malsaine, des photos viennent nous montrer l’horreur à laquelle heureusement nous avons échappé. Dans le lot, les images d’enfants marquent davantage les esprits, que ce soit au Vietnam, à la plage, dans un immeuble en ruine ou là, dans les tribunes vides d’un stade triste. Cette photo de Nelson Almeida relayée par l’AFP quelques heures après le drame qui a frappé l’équipe du Real Chapecoense jusque là inconnue dans nos contrées. Un nom qui s’effacera rapidement dans les mémoires du plus grand nombre. Mais passons.

Cette photo est d’une profonde tristesse et pourtant l’enfant est sauf et il est fort peu probable qu’un membre de sa famille ait péri dans le crash. Cet enfant n’a pas été touché par l’accident, ni ses proches. Que fait-il ici ? Quels sont les éléments qui font de cette photo une illustration parfaite de ce drame ?

Oublions les pieds nus de l’enfant, oublions même quelle peut être la condition sociale, ce n’est pas parce qu’il est en bermuda sans chaussure qu’il est issu d’une favela, et d’ailleurs en quoi la pauvreté du gamin rendrait la photo plus ou moins triste. Non la vérité est ailleurs. Et elle est presque intangible, elle n’a pas de réalité propre, juste une série de symboles qui ne sont pas à leur place, dont leurs rôles sont détournés.

Le stade prend ici une nouvelle fonction qu’on lui connaît assez peu. Il y a habituellement le stade sportif, le stade musical, le stade centre commercial, le stade musée, le stade politique, le stade bunker, le stade tortionnaire, le stade commémoratif… c’est un lieu de communion, parfois même un lieu de culte. C’est assez rarement un lieu de recueillement, un lieu où une personne veut trouver le calme nécessaire d’un environnement familier pour faire le deuil et s’isoler. Le stade n’est pas le lieu de l’accident, mais il est lié à l’équipe, c’est une connexion directe avec les morts, les joueurs survivants et toute la communauté autour de cette équipe et au-delà. Les autres photos dans le stade de ce même jour montrent des personnes qui s’étreignent, se soutiennent et pleurent dans les bras des uns et des autres.

L’enfant est donc là seul dans un lieu où personne ne l’est. Il est seul et pourtant habillé comme pour un match, comme un supporter venu regarder jouer son équipe. Il est là où habituellement il chante, saute, crie et pleure, là où on extériorise sans calculer les sentiments primaires du supporter. Mais l’enfant a les bras croisés, la tête baissée, les yeux fermés. Il est en lui-même dans un lieu où ce n’est jamais le cas. Il ne partage même pas sa peine avec d’autres venus également rendre hommage à leur équipe. Tout est vers l’intérieur dans une tristesse qui ne s’explique pas. Ce n’est pas l’accident d’avion qui est en question, c’est la disparition de ses héros avec la violence psychologique de ressentir de la tristesse pour des personnes qu’il ne connaissait sans doute pas directement mais qui pourtant font partie de son quotidien. Si ce n’est pas au stade, c’est dans ses pensées, dans les discussions avec ses copains et les jours de matchs, peut-être avec son père qui lui a transmis la passion du ballon et l’amour d’un maillot, d’une équipe et de ses joueurs.

C’est un moment aussi simple que tragique avec cette impossibilité d’imaginer que l’on peut aimer rationnellement un sport et une équipe qui un jour, peut nous rendre profondément triste. C’est forcément bien plus que du football.


@TheSpoonerWay