L'enfant seul du Chapecoense
Les drames ont de rassurant qu’ils sont là tous les jours. Des
témoignages abreuvent notre curiosité souvent malsaine, des photos viennent
nous montrer l’horreur à laquelle heureusement nous avons échappé. Dans le lot,
les images d’enfants marquent davantage les esprits, que ce soit au Vietnam, à
la plage, dans un immeuble en ruine ou là, dans les tribunes vides d’un stade
triste. Cette photo de Nelson Almeida relayée par l’AFP quelques heures après
le drame qui a frappé l’équipe du Real Chapecoense jusque là inconnue dans nos
contrées. Un nom qui s’effacera rapidement dans les mémoires du plus grand
nombre. Mais passons.
Cette photo est d’une profonde tristesse et pourtant
l’enfant est sauf et il est fort peu probable qu’un membre de sa famille ait
péri dans le crash. Cet enfant n’a pas été touché par l’accident, ni ses
proches. Que fait-il ici ? Quels sont les éléments qui font de cette photo
une illustration parfaite de ce drame ?
Oublions les pieds nus de l’enfant, oublions même quelle
peut être la condition sociale, ce n’est pas parce qu’il est en bermuda sans
chaussure qu’il est issu d’une favela, et d’ailleurs en quoi la pauvreté du
gamin rendrait la photo plus ou moins triste. Non la vérité est ailleurs. Et
elle est presque intangible, elle n’a pas de réalité propre, juste une série de
symboles qui ne sont pas à leur place, dont leurs rôles sont détournés.
Le stade prend ici une nouvelle fonction qu’on lui connaît
assez peu. Il y a habituellement le stade sportif, le stade musical, le stade
centre commercial, le stade musée, le stade politique, le stade bunker, le
stade tortionnaire, le stade commémoratif… c’est un lieu de communion, parfois
même un lieu de culte. C’est assez rarement un lieu de recueillement, un lieu
où une personne veut trouver le calme nécessaire d’un environnement familier
pour faire le deuil et s’isoler. Le stade n’est pas le lieu de l’accident, mais
il est lié à l’équipe, c’est une connexion directe avec les morts, les joueurs
survivants et toute la communauté autour de cette équipe et au-delà. Les autres
photos dans le stade de ce même jour montrent des personnes qui s’étreignent,
se soutiennent et pleurent dans les bras des uns et des autres.
L’enfant est donc là seul dans un lieu où personne ne l’est.
Il est seul et pourtant habillé comme pour un match, comme un supporter venu
regarder jouer son équipe. Il est là où habituellement il chante, saute, crie
et pleure, là où on extériorise sans calculer les sentiments primaires du
supporter. Mais l’enfant a les bras croisés, la tête baissée, les yeux fermés.
Il est en lui-même dans un lieu où ce n’est jamais le cas. Il ne partage même
pas sa peine avec d’autres venus également rendre hommage à leur équipe. Tout
est vers l’intérieur dans une tristesse qui ne s’explique pas. Ce n’est pas
l’accident d’avion qui est en question, c’est la disparition de ses héros avec
la violence psychologique de ressentir de la tristesse pour des personnes qu’il
ne connaissait sans doute pas directement mais qui pourtant font partie de son
quotidien. Si ce n’est pas au stade, c’est dans ses pensées, dans les
discussions avec ses copains et les jours de matchs, peut-être avec son père
qui lui a transmis la passion du ballon et l’amour d’un maillot, d’une équipe et
de ses joueurs.
C’est un moment aussi simple que tragique avec cette
impossibilité d’imaginer que l’on peut aimer rationnellement un sport et une équipe qui un jour,
peut nous rendre profondément triste. C’est forcément bien plus que du
football.
@TheSpoonerWay