vendredi, avril 17, 2020

Christophe, tristesse sans couleur



Et il y a les morts qui nous touchent de manière irrationnelle. J’ai pleuré ce matin en apprenant le décès de Christophe. Tristesse de l’annonce exacerbée par un contexte anxiogène où nous sommes réduits à voir les gens tombés dans des statistiques froides et un bilan provisoire qui gonfle tous les jours peu après 19h. Liée ou pas à ce virus, je pleure Christophe, ses textes, sa personnalité, son parcours et de notre relation, ensemble, à deux moments séparés de 25 ans.

Cela a commencé dans le garage de mes parents. J’aimais fouiller les lieux un peu oubliés de la maison, là où on pose des boîtes en disant qu’elles sont bien là. Et on les oublie. Et quelqu’un d’autre les trouve. J’ai découvert Christophe dans une boîte poussiéreuse où étaient rangées les cassettes audio des sixties de la jeunesse de mes parents. Loin de l’effervescence du rock et de l’émergence hippie, ils ont surtout subi l’époque yéyé à la française. J’ai découvert en écoutant secrètement ces cassettes et les tubes qui les faisaient danser. J’y ai passé des heures, je connais encore un grand nombre de ses chansons, inavouables, par cœur. L’enfant qui veut partager l’histoire de ses parents n’a pas de honte. Aline avait une belle place, parce que tout Français moyen connaissait au moins le refrain et pouvait en faire une chanson de fêtes familiales lorsque le fameux oncle gênant que nous avons tous, décidait de prendre la dernière bouteille vide pour beugler le départ douloureux de cette Aline. Je dis cela mais je n’en ai pas le souvenir dans les repas à la maison. L’image est pourtant tellement quasi réelle. Petit, je mettais souvent cette chanson dans la même catégorie que Capri c’est fini, nous sommes dans un registre indéniablement assez proche dans le propos. La comparaison ne résiste pas très longtemps à une écoute légèrement attentive, que je n’ai pas faite. Alors, j’ai fermé cette boîte et ai suivi mon propre parcours musical, assez chaotique. J’ai laissé Christophe et les yéyés de côté, persuadés qu’il n’y avait plus grand chose à en tirer qu’une madeleine personnelle et ringarde.

J’ai redécouvert Christophe il y a 5 ans, poussé par ma compagne qui voyait d’un œil étrange mon snobisme prétentieux et mal informé. J’ai pris une bonne claque entre révélation et regret d’être passé à côté tant d’années. J’ai écouté des centaines de fois Les paradis perdus, Daisy, Les marionnettes, Succès fou , La dolce vita, Les mots bleus, certains lives, des duos… des milliers de fois sans doute parce que j’ai ce côté excessif quand j’aime. J’ai écouté les textes, j’ai écouté les variations des arrangements et des mélodies d’une version à l’autre et j’ai aimé. Ce n’est pas le plus grand artiste mais il y a des amours irrationnelles, tardives, et qu’on n’a pas envie d’expliquer plus avant. Le hasard a fait qu’à peine quelques mois plus tard, il sortait son dernier album et aller chanter Salle Pleyel où sommes allés. J’ai passé l’un des meilleurs concerts de ma vie. Cynique, drôle, accessible, prenant son temps, une mise en scène efficace et belle, j’ai découvert une personnalité qui a plus de 50 ans de carrière, détachée des contingences classiques, qui vit la nuit et profite des plaisirs qu’il s’offre. Autrement dit, il s’en fout et il nous le partage avec bonheur. Il glisse cet œil fatigué et exigeant dans ses chansons, il traîne Aline comme un boulet rassurant, son public n’est pas pour cela, il est là pour tout le reste. Il en profite aussi, il profite de toutes ses nuits et ne doit pas être contre des rencontres aléatoires, je ne le vois pas dire non à quelques phrases dans un bar poussiéreux. Cette légèreté est salutaire et cela flotte trompeusement dans ses chansons, accentuée par cette voix si particulières. Faussement légères, faussement faciles, les mélodies restent, se tordent, se réinterprêtent sans fin par lui-même et ceux qui les reprennent. Il était fan de Bowie, aimait beaucoup Lou Reed et Bashung et n’était pas très loin de Gainsbourg. Ce matin, j’étais triste. Triste de perdre un lien supplémentaire avec la jeunesse de mes parents, avec la mienne. Triste de ne pas avoir mieux suivi cette carrière et de l’avoir écarté par bêtise. Triste d’écouter une fois de plus un bel artiste sans plus pouvoir le voir sur scène. Triste de ne plus avoir à attendre un nouveau titre ou un nouveau concert. Il restera ce superbe souvenir de cette soirée à Pleyel, un de plus avec elle.